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La veille c'est déjà demain
10 avril 2015

Projet de loi sur le renseignement : l'impossible dialogue

Jusqu’à très récemment, en matière de lutte contre le terrorisme sur le Web, le gouvernement montrait régulièrement du doigt les géants américains, Google ou Facebook, accusés de refuser de collaborer. Depuis le voyage de Bernard Cazeneuve dans la Silicon Valley, il y a un mois, le gouvernement se félicite d’avoir obtenu un niveau de dialogue et de coopération sans précédent avec les géants américain sur la traque des djihadistes. Mais c’est ironiquement d'entreprises françaises du numérique comme Gandi ou OVH – premier hébergeur d’Europe – qu’est venue une fronde massive contre le projet de loi sur le renseignement.

Dans un texte commun, sept hébergeurs français dénoncent l’une des principales mesures du projet de loi, la mise en place de « boîtes noires » chez tous les fournisseurs d’accès à Internet français, pour permettre à un algorithme de détecter des comportements suspects de présumés terroristes.

Lire : Loi sur le renseignement : des hébergeurs de données menacent de délocaliser

Les hébergeurs estiment que ce projet « n'atteindra pas son objectif, mettra potentiellement chaque Français sous surveillance et détruira, ainsi, un pan majeur de l'activité économique de notre pays », en poussant leurs clients à se tourner vers d'autres pays moins intrusifs. Si le projet de loi est adopté en l'état, « nous devrons déménager nos infrastructures, nos investissements et nos salariés là où nos clients voudront travailler avec nous », menacent-ils, avant d'énumérer une douzaine de villes où ils « supprimeront des emplois au lieu d'en créer ».

La prise de position de ces sociétés s’ajoute à la – très longue – liste des opposants déclarés au projet de loi. Garde-fous insuffisants, spectre trop large, outils de surveillance particulièrement intrusifs, « boîtes noires »… rarement une loi n’aura fait autant l’unanimité contre elle au sein de la société civile.

Et parmi ses opposants se trouvent des personnes ou organisations qu’on ne peut pas soupçonner d’antipathie automatique vis-à-vis de l’Etat, du Parti socialiste ou du monde du renseignement. Le juge antiterroriste Marc Trévidic, le Conseil national du numérique – organisation consultative placée sous la responsabilité de la ministre de l’économie numérique –, la CGT Police, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et même la Commission numérique de l’Assemblée ont tous vertement critiqué le texte.

Pourtant, personne, même parmi ses opposants, ne se fait d’illusions. Les députés, puis les sénateurs, voteront la loi à une écrasante majorité, nourrie des voix de l’opposition, comme toutes les lois touchant au terrorisme ces dernières années.

Lire : La galaxie des opposants au projet de loi sur le renseignement

Le contexte de l'après-

Un rapport de force défavorable aux opposants

A l’Assemblée, les opposants ne seront pas très nombreux : la plupart des écologistes, une poignée de socialistes, deux ou trois UMP. En face, le ministère de l’intérieur, déterminé à faire adopter son texte, et Jean-Jacques Urvoas, rapporteur du texte, poids lourd de la majorité, président de la commission des lois et spécialiste reconnu du sujet. M. Urvoas « dispose d’une aura non négligeable auprès des députés », estimait Sergio Coronado, chef de file des écologistes sur ce texte lors d’une réunion en petit comité, mercredi, à l’Assemblée nationale. Si M. Urvoas, en commission des lois, a pu imposer au gouvernement certaines de ses vues, notamment sur le renseignement pénitentiaire ou l’encadrement des IMSI-catchers, il partage largement les ambitions du ministère concernant ce texte. De l’autre, on trouve l’UMP, qui a déposé plusieurs amendements tentant d’accroître encore la portée du texte et dont le chef de file sur la question est Guillaume Larrivé, ancien proche conseiller de Brice Hortefeux au ministre de l’intérieur.

Les députés les plus critiques vis-à-vis du projet, de droite comme de gauche, tentent donc de démarcher individuellement leurs collègues pour les sensibiliser aux points de la loi qui leur semblent problématiques. Mais le rapport de force défavorable dans les rangs de l’hémicyle, tout comme l’engagement de la procédure d’urgence, la présentation du projet de loi en pleine campagne électorale pour les départementales et le contexte lourd de l’après-Charlie Hebdo semblent avoir eu pour effet d’écraser toute possibilité de débat, sur le fond, des mesures les plus discutables du texte.

Lire aussi : Loi renseignement, vers une protection pour un futur Edward Snowden français ?

Les opposants se voient taxés de complaisance envers les terroristes, et ses défenseurs d’une volonté dictatoriale de contrôle de la population. « Si on s’oppose à cette loi, on est vus comme pro-terroristes : le contexte surdétermine la position de mes collègues », déplorait M. Coronado.

Le terrorisme occupe la totalité du champ du débat, notamment parce que c’est l’axe de communication qu’ont choisi ses promoteurs. Le texte est pourtant bien plus vaste : il encadre aussi le contre-espionnage, l’espionnage économique ou la protection de la diplomatie française...

Même parmi les plus farouches opposants au projet de loi, le consensus est qu’un texte encadrant et modernisant les pratiques des services de renseignement était nécessaire. Ce constat de départ s’est transformé en à peine quelques semaines en un dialogue de sourds.

« Ce n’est pas le gouvernement qui limite les libertés publiques, ce sont ces attaques [contre la liberté d’expression] », estimait jeudi après-midi, quelques heures après le piratage de TV5 Monde par un groupe se présentant comme proche de l’organisation Etat islamique, le ministre de l’intérieur. Un argument inaudible pour les adversaires du projet de loi, qui arguent qu’une société qui accepterait de légaliser des outils de surveillance intensive donnerait in fine raison aux groupes qui s’en sont pris ces derniers mois aux musées, journaux et autres symboles des libertés.

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