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La veille c'est déjà demain
15 septembre 2011

le storytelling à la française

La guerre de Libye et la tentation du "storytelling" français

Analyse | LEMONDE | 13.09.11 | 13h26   •  Mis à jour le 13.09.11 | 19h15

par Natalie Nougayrède (Service International)

M. Sarkozy a affirmé le 31 août que le rôle rempli par l'OTAN en Libye avait été possible "parce que" la France avait "repris toute sa place dans le commandement intégré". L'affirmation a pu faire sourire d'anciens hauts responsables de la présidence Chirac, qui rappellent en privé que le statut particulier de la France dans l'OTAN n'avait jamais empêché d'agir en Afghanistan ni au Kosovo.

M. Sarkozy utilise l'affaire libyenne pour justifier a posteriori son choix politique d'un "retour" dans l'OTAN, comme s'il fallait circonvenir les voix qui, en France, ont pu y voir un abandon cher payé du dogme gaulliste. Il a au passage cessé de présenter sa décision comme une source de progrès pour "l'Europe de la défense" : le partenaire britannique de l'expédition libyenne n'en a jamais voulu.

M. Sarkozy n'a pas tort de prétendre que la France aurait plus difficilement joué les pilotes de l'opération en Libye, aux côtés du Royaume-Uni, sans le signal politique donné par la réintégration dans le commandement militaire intégré. "Au Kosovo, nous n'étions pas en position d'initiative", note un diplomate français.

Mais la référence à l'OTAN est paradoxale. Quand elle préparait l'intervention en Libye, la France ne voulait surtout pas de l'Alliance atlantique ! A Paris, l'état-major des armées avait convaincu l'Elysée qu'il serait possible de procéder en "franco-britannique". Ce n'est qu'après avoir compris que Londres n'avait ni le souhait ni les moyens de ce scénario que la France s'est résignée au recours à la "machinerie" de l'OTAN. Le Royaume-Uni, pas plus que la France, n'avait les missiles nécessaires pour détruire la défense antiaérienne libyenne. Seuls les Etats-Unis étaient en mesure de le faire.

Le "récit" officiel français distille l'idée que les Etats-Unis ont joué un rôle mineur, du moins, en arrière de la main. Barack Obama a certes eu l'obsession de ne pas mettre un "visage" américain sur cette intervention en terre arabe. Mais la victoire aurait été hors d'atteinte sans l'apport constant de la technologie et des capacités militaires américaines. A cela s'ajoute le fait qu'en mars la résolution 1973 de l'ONU a été non pas un texte français, mais un texte d'inspiration américaine, avancé subitement par l'ambassadeur Susan Rice, la veille du vote.

La formulation était à ce point radicale en autorisant l'emploi de la force que Paris et Londres avaient soupçonné un piège : les Américains cherchaient-ils à tout saboter en provoquant un veto russe ? L'administration Obama avait en fait décidé de passer à l'acte en Libye. Le 1er septembre, David Cameron, le premier ministre britannique, a salué, lors de la conférence de Paris sur la Libye, le "rôle crucial" des Etats-Unis. M. Sarkozy n'a pas relevé.

Autre aspect minimisé par le récit français : le rôle joué, dans la victoire des rebelles libyens, par des détachements de forces spéciales du Qatar et des Emirats arabes unis. Il semble avoir été grand. Sans se vanter, ces petites monarchies ont engrangé l'aura procurée par une intervention militaire lointaine, aux côtés de l'OTAN. Paris a salué leur soutien "politique".

La France a voulu insister sur l'"unité" de la communauté internationale. L'appui arabe a été indéniable. Mais, une fois passé le vote de la résolution 1970 à l'ONU, les grandes puissances se sont déchirées sur la Libye. La Russie, la Chine, et nombre d'"émergents", ont dénoncé une entreprise occidentale de renversement de régime. Pour la France - qui a mesuré à cette occasion les limites de ses "partenariats" avec le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud - l'affaire libyenne s'achève sur des lendemains diplomatiques difficiles. Conduite au nom des valeurs, l'opération a eu un coût pour la capacité française de rassemblement. Cela se ressent aujourd'hui cruellement sur le dossier de la Syrie.

On ne pourra pas reprocher à M. Sarkozy d'avoir lésiné sur la méthode forte pour démocratiser la Libye. Mais sur la question de la lutte contre l'impunité, le message est devenu ambigu. Les violences commises par la rébellion contre des civils sont largement tues. S'agissant de la justice internationale, Paris répète que "les Libyens" décideront du sort de Mouammar Kadhafi. Or seule la Cour pénale internationale, qui a émis un mandat d'arrêt, peut trancher le débat sur un éventuel procès en Libye. La France semble là, avant tout, soucieuse de ménager ses appuis libyens.

Enfin, tout à leur exaltation d'une nouvelle diplomatie de défense des valeurs, M. Sarkozy et son ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, ont revendiqué comme "un concept français" la "responsabilité de protéger" invoquée à l'ONU. C'est un peu hâtif. Le concept a été élaboré par une commission internationale mise sur pied en 2000 par le Canada et où ne siégeait aucun Français. La guerre de Libye, un riche sujet de storytelling national.

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